C'est le premier matin du monde.
Comme une fleur confuse exhalée dans la nuit,
Au souffle nouveau qui se lève des ondes,
Un jardin bleu s'épanouit.
Tout s'y confond encore et tout s'y mêle,
Frissons de feuilles, chants d'oiseaux,
Glissements d'ailes,
Sources qui sourdent, voix des airs, voix des eaux,
Murmure immense;
Et qui pourtant est du silence.
Ouvrant à la clarté ses doux et vagues yeux,
La jeune et divine Eve
S'est éveillée de Dieu.
Et le monde à ses pieds s'étend comme un beau rêve.
Or Dieux lui dit: Va, fille humaine,
Et donne à tous les êtres
Que j'ai créés, une parole de tes lèvres,
Un son pour les connaître.
Et Eve s'en alla, docile à son seigneur,
En son bosquet de roses,
Donnant à toutes choses
Une parole, un son de ses lèvres de fleur:
Chose qui fuit, chose qui souffle, chose qui vole...
Cependant le jour passe, et vague, comme à l'aube,
Au crépuscule, peu à peu,
L'Eden s'endort et se dérobe
Dans le silence d'un songe bleu.
La voix s'est tue, mais tout l'écoute encore,
Tout demeure en l'attente,
Lorsque avec le lever de l'étoile du soir,
Eve chante.
Comme elle chante
Dans ma voix,
L'âme longtemps murmurante
Des fontaines et des bois.
Air limpide du paradis,
Avec tes grappes de rubis,
Avec tes gerbes de lumière,
Avec tes roses et tes fruits;
Quelle merveille en nous à cette heure!
Des paroles depuis des âges endormies
En des sons, en des fleurs,
Sur mes lèvres enfin prennent vie.
Depuis que mon souffle a dit leur chanson,
Depuis que ma voix les a créées,
Quel silence heureux et profond
Naît de leurs âmes allégées!
Roses ardentes
Dans l'immobile nuit,
C'est en vous que je chante,
Et que je suis.
En vous, étincelles,
A la cime des bois,
Que je suis éternelle,
Et que je vois.
O mer profonde,
C'est en toi que mon sang
Renaît vague blonde,
Et flot dansant.
Et c'est en toi, force suprême,
Soleil radieux,
Que mon âme elle-même
Atteint son dieu!
Comme Dieu rayonne aujourd'hui,
Comme il exulte, comme il fleurit
Parmi ces roses et ces fruits!
Comme il murmure en cette fontaine!
Ah! comme il chante en ces oiseaux...
Qu'elle est suave son haleine
Dans l'odorant printemps nouveau!
Comme il se baigne dans la lumière
Avec amour, mon jeune dieu!
Toutes les choses de la terre
Sont ses vêtements radieux.
L'aube blanche dit à mon rêve:
Éveille-toi, le soleil luit.
Mon âme écoute, et je soulève
Un peu mes paupières vers lui.
Un rayon de lumière touche
La pâle fleur de mes yeux bleus;
Une flamme éveille ma bouche,
Un souffle éveille mes cheveux.
Et mon âme, comme une rose
Troublante, lente, tout le jour,
S'éveille à la beauté des choses,
Comme mon âme à leur amour.
Que tu es simple et claire,
Eau vivante,
Qui, du sein de la terre,
Jaillis en ces bassins et chantes!
O fontaine divine et pure,
Les plantes aspirent
Ta liquide clarté;
La biche et la colombe en toi se désaltèrent.
Et tu descends par des pentes douces
De fleurs et de mousses,
Vers l'océan originel,
Toi qui passes et vas, sans cesse, et jamais lasse
De la terre à la mer et de la mer au ciel.
Veilles-tu, ma senteur de soleil,
Mon arôme d'abeilles blondes,
Flottes-tu sur le monde,
Mon doux parfum de miel?
La nuit, lorsque mes pas
Dans le silence rôdent
M'annonces-tu, senteur de mes lilas,
Et de mes roses chaudes?
Suis-je comme une grappe de fruits
Cachés dans les feuilles,
Et que rien ne décèle,
Mais qu'on odore dans la nuit?
Sait-il, à cette heure,
Que j'entr'ouvre ma chevelure,
Et qu'elle respire;
Le sent-il sur la terre?
Sent-il que j'entends les bras,
Et que des lys de mes vallées
Ma voix qu'il n'entend pas
Est embaumée?
Dans un parfum de roses blanches
Elle est assise et songe;
Et l'ombre est belle comme s'il s'y mirait
un ange.
L'ombre descend, le bosquet dort;
Entre les feuilles et les branches,
Sur le paradis bleu s'ouvre un paradis d'or.
Une voix qui chantait tout à l'heure murmure.
Un murmure s'exhale en haleine, et s'éteint.
Dans le silence il tombe des pétales...
Ce soir, à travers le bonheur,
Qui donc soupire, qu'est-ce qui pleure?
Qu'est-ce qui vient palpiter sur mon cur,
Comme un oiseau blessé?
Est-ce une voix future,
Une voix du passé?
J'écoute, jusqu'à la souffrance,
Ce son dans le silence.
Ile d'oubli, ô Paradis!
Quel cri déchire, dans la nuit,
Ta voix qui me berce?
Quel cri traverse
Ta ceinture de fleurs,
Et ton beau voile d'allégresse?
O mort, poussière d'étoiles,
Lève-toi sous mes pas!
Viens, ô douce vague qui brille
Dans les ténèbres;
Emporte-moi dans ton néant!
Viens, souffle sombre où je vacille,
Comme une flamme ivre de vent!
C'est en toi que je veux m'étendre,
m'éteindre et me dissoudre,
Mort, où mon âme aspire!
Viens, brise-moi comme une fleur d'écume,
Une fleur de soleil à la cime
Des eaux, et comme d'une amphore d'or
Un vin de flamme et d'arome divin,
Épanche mon âme
En ton abime, pour qu'elle embaume
La terre sombre et le souffle des morts.
It is the first day of the world.
Like a blurred flower exhaled by night,
with the new breeze rising from the waves,
a blue garden is blossoming.
All there is still confused and all there mingles together,
flutterings of leaves, songs of birds,
glidings of wings,
springs which gush, voice of the airs, voice of the waters,
vast murmur;
and yet, which is of silence.
Opening her soft and dreamy eyes to the brightness,
the young and divine Eve
woke up from God.
And the world at her feet spreads out like a beautiful dream.
Now God says: Go, human daughter,
and give, to all the beings
that I have created, a word from your lips,
a sound by which to know them.
And Eve went, docile to her master,
in his thicket of roses,
giving to all things
a word, a sound from her flower-like lips:
thing which flees, thing which blows, thing which flies...
Meanwhile the day passes by, and dreamily, as at dawn,
little by little, at dusk
Eden slumbers and slips away
into the silence of a blue dream.
The voice has fallen silent, yet everything is still listening for
it,
everything remains in the expectation,
when, with the rising of the evening star,
Eve sings.
How
the long-murmuring soul
of the woods and fountains
sings in my voice.
Pure air of paradise,
with your clusters of rubies,
with your shafts of light,
with your roses and your fruits;
such wonder within us at this hour!
Words which for ages have remained asleep
in sounds, in flowers,
at last come to life on my lips.
Ever since my breath first spoke their song,
ever since my voice first created them,
what happy and deep silence
is born from their lightened souls!
Ardent roses
in the still night,
it is within you that I sing,
and that I am.
Within you, sparks,
in the tops of the woods,
that I am eternal,
and that I see.
O deep sea,
it is within you that my blood
is born again, pale wave,
and dancing swell.
And it is within you, supreme power,
radiant sun,
that my soul itself
attains its god!
How God shines today,
how he exults, how he blossoms
amidst these roses and these fruits!
How he murmurs within this fountain!
Ah! How he sings within these birds...
How his breath is sweet
in the fragrant new springtime!
How he bathes in the light
with love, my young god!
All worldly things
are his radiant garments.
The bright dawn is saying to my dream:
wake up, the sun is shining.
My soul listens, and I lift
my eyelids a little towards it.
A ray of light touches
the pale flower of my blue eyes;
a flame awakens my mouth,
a breeze awakens my hair.
And my soul, like a disturbing rose,
slow, all day long,
wakes up to the beauty of all things,
as does my soul to their love.
How simple and clear you are,
rushing water,
which, from the heart of the earth,
gushes out into these pools and sings!
O divine and pure spring,
the plants drink in
your liquid transparency;
the doe and the dove in you quench their thirst.
and down you flow by gentle slopes
of flowers and mosses,
towards the ocean of origin,
you who, never weary, pass and go ceaselessly
from the earth to the sea and from the sea to the sky.
Do you keep watch, my fragrance of sun,
my scent of pale bees,
do you float over the world
my sweet perfume of honey?
At night, when my footsteps
rove in the silence
do you herald my passing, fragrance of my lilacs
and of my warm roses?
Am I like a bunch of fruit
which is hidden among the leaves
and betrayed by nothing,
but which one smells in the night?
Does he know, at this hour,
that I gently part my hair,
and that it breathes;
does he notice it, on earth?
Does he notice that I spread my arms,
and that my voice,
which he does not hear, is perfumed
by the lilies of my valleys?
In a perfume of white roses
she is seated and dreams;
and the shadow is beautiful as though there was an
angel reflected therein.
The shadow lengthens, the thicket slumbers;
through the leaves and the branches,
a golden paradise opens on the blue one.
A voice which was singing just now is murmuring.
A murmur escapes in a breath, and dies.
In the silence petals fall...
This evening through the happiness,
who is sighing, what is weeping?
What comes to throb at my heart,
like a wounded bird?
Is it a voice from the future,
a voice of the past?
I listen to this sound in the silence
until it pains me.
Isle of oblivion, o Paradise!
What is this cry which, in the night, tears
your voice which comforts me?
What cry pierces
your girdle of flowers
and your beautiful veil of happiness?
O death, dust of stars,
arise beneath my footsteps!
Come, o gentle wave which shines
in the darkness;
carry me away to your void!
Come, sombre breeze where I tremble,
like a flame intoxicated by wind!
It is within you that I wish to stretch out,
die and de dispersed,
death, to which my soul aspires!
Come, shatter me like a flower of spume,
a flower of sun upon the crest
of the waters, and like an amphora of gold,
a wine of fire and divine aroma,
pour my soul
into your abyss, that it might perfume
the dark earth and the breath of the dead.
© translated by Christopher Goldsack
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